PATRICK COUTIN

Coutin est un aventurier. Peut-être le dernier beatnik. Il vit sur un magnifique vieux bateau en bois – comme David Crosby et les héros de cette génération sixties qui a marqué à vie ceux qui l’ont connue – et même les autres. Coutin vit dans un rêve. Il a tout vu, tout vécu : mai 68, la philo à la Sorbonne, les Beaux-arts, les Etats-Unis, San Francisco, les hippies, la critique rock quand elle avait encore quelque chose à dire…

Et puis un beau jour, il s’est mis à la musique, à l’orée des années 1980, et il a obtenu un hit immense dès son coup d’essai, avec une chanson qui venait déjà d’une autre planète, celle du rock garage, sauvage et sexuel des décennies précédentes. « J’aime regarder les filles » est un tube intemporel, qui remplit encore en 2019 les pistes de danse de garçons et de filles dont les parents étaient à peine nés quand le disque est sorti… C’est la chanson qui définit le mieux ce qu’aurait été le rock français s’il avait existé.

Un tube comme ça peut détruire un artiste. Mais Coutin a la peau dure. Et surtout, c’est un pur. Un artiste. Il a continué, en faisant à peu près toujours le contraire de ce qu’on attendait de lui, pour être bien sûr de ne pas tomber dans le jeu du showbiz et de la variété commerciale. En choquant avec une chanson comme « Fais-moi jouir », non publiée à l’époque, aujourd’hui devenue son deuxième plus gros succès : demandez à ces mêmes jeunes d’aujourd’hui…

Pour ce qui est de balancer une poésie à la fois crue, désenchantée, urbaine et lumineuse, Coutin est un maître, qui a fait ses classes auprès des auteurs mythiques de la beat generation (Kerouac, Ginsberg, Burroughs et bien d’autres). Les rappeurs peuvent aller se rhabiller. Mieux, ils peuvent écouter et en prendre de la graine.

De L’Heure Bleue et Un étranger dans la ville, dans les années 1980, jusqu’à Industrial Blues au XXIème siècle, ses albums ultérieurs sont à redécouvrir. Un jour on s’émerveillera en réécoutant ces disques remplis de chansons superbes à côté desquelles tout le monde – ou presque – est passé.

Aujourd’hui, en 2019, il publie un fantastique triple album en série limitée, Triptyque du Paradis, une sorte de somme de tout ce qu’il aime et de tout ce qu’on aime chez lui : des reprises de rock sixties et des nouvelles chansons remplies de guitares et de ce feeling bluesy qu’il est un des rares en France à pouvoir transmettre sans avoir l’air ridicule. Normal : Coutin n’est pas d’ici. C’est un citoyen du monde. Mais pas de ce monde, d’un autre monde, un monde meilleur, à venir. Ou pas.

 

SAMUEL CAJAL

Avec K!, Jérémie Kiefer, Albane Aubry ou Andoni Iturioz, avec les furieux et punk Zissis the Beast, avec bien sûr 3 Minutes Sur Mer, ces très remarqués et voltigeurs cousins de Radiohead, Bashung ou Patrick Watson, Samuel Cajal a beaucoup écrit, produit, accompagné – mais jusqu’ici, jamais pour-lui-même.

Se lancer en solo était une exigence impérieuse intime, et le grand bond dans le vide du Parisien est vertigineux. Conçu avec ses comparses Johan Guidou et Matthieu Lesenechal dans la même veine minimaliste et incandescente que son héros Troy Von Balthazar, son premier album Une issue va droit au but et droit au beau, plein de colère retenue (l’implacable introduction Cœur Noir, avec Wilfried Hildebrandt), de rage gracieuse, de clairs et d’obscurs, d’arrangements à la discrète amplitude, de mélodies lumineuses (Langoureusement), rappelant Bertrand Cantat, Low, Pascal Bouaziz, Flotation Toy Warning, Dominique A.

La politique générale et les renoncements personnels (la douce et amère Indigné, avec Nellyla), l’amour et la haine, les batailles universelles du quotidien ou le deuil d’un père (la crépusculaire Décibels, avec K!), les mots du garçon marquent l’âme d’un bel acide. Au-delà de cette Issue naît ainsi un chemin : celui qu’emprunte, poétique et rageur, un auteur qui s’affirme. (Thomas Burgel)
 

Samuel CAJAL

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